mercredi 19 octobre 2022
samedi 1 janvier 2022
mardi 16 novembre 2021
Carl Wilhelm Holsoe |
L'Héritage d'Esther
de Sandor Maraï
Les destins féminins tragiques ont très souvent fait l'objet d'analyses et de descriptions dans la littérature et si "L'Héritage d'Esther" de Sandor Maraï n'est pas le plus connu d'entre eux, il n'en demeure pas moins à mon sens l'un des plus poignants, par sa nature implacable et son cheminement inéluctable. Il se caractérise également par le fait qu'il sollicite beaucoup l'esprit du lecteur, lequel est souvent enclin à se révolter face aux comportements de l'héroïne, en pure perte évidemment, réduit qu'il est au rôle de témoin impuissant.
Le grand écrivain hongrois nous conte ici l'histoire d'Esther, femme ayant dépassé la quarantaine, qui vit des jours tranquilles et monotones dans sa maison et son jardin, en compagnie de sa vieille gouvernante. Entourée par un petit groupe d'amis bienveillants ainsi que d'un frère, qui lui prodiguent de bons conseils, cela ne suffit pas à évacuer sa mélancolie, laquelle est nourrie par un passé bouleversant qui va hélas resurgir en la personne de Lajos, un homme singulier, qui fut son grand amour mais qui lui causa de terribles tourments.
Sandor Maraï - 1900 - 1989 |
La sagesse voudrait qu'Esther au fil des années se soit affranchie de l'influence qu'a exercée sur elle la personnalité de Lajos, mais on verra hélas qu'il n'en n'est rien, même si elle a malgré tout gagné en lucidité sur cet homme et sait à quoi s'en tenir à son propos. Mais qu'est-ce que la lucidité face au mystère de l'amour ? C'est tout le thème de ce roman cruel, roman de la fatalité et de l'emprise qu'un être peut exercer sur un autre.
Lajos, sorte d'aventurier sans scrupules, est de retour dans l'univers d'Esther, qu'il va s'employer à déstabiliser après l'avoir déjà fait vingt ans plus tôt, la laissant désemparée et flouée, après avoir épousé sa soeur par intérêt, devant laquelle Esther s'est effacée, alors qu'elle pensait être l'élue. Pour ne pas déflorer le déroulement du récit, je n'en dirai pas plus sur ses développements et ses péripéties, lesquelles font froid dans le dos, mais j'attirerai l'attention du lecteur sur ce qui fait aussi l'intérêt de ce livre, à savoir les longues et fascinantes conversations nocturnes entre Esther et Lajos, où cet homme lui assène froidement ses conceptions de la vie, surtout celles qui l'arrangent, en un discours fumeux empreint d'une philosophie de pacotille et d'une condescendance incroyable, qu'elle s'emploie à essayer de contrer, lui montrant ainsi qu'à aucun moment elle n'est dupe malgré son désespoir.
Il s'agit là de la confrontation entre un manipulateur cupide et cynique avec une femme qui rend sciemment les armes, fatiguée de lutter et acceptant de faire face à son destin, tout en essayant de sauvegarder son intégrité . A ce titre, la notion de confrontation étant d'ailleurs une constante dans l'oeuvre de Maraï, notamment dans son autre grand roman "Les braises", qui est cependant d'une nature différente.
Dans notre société actuelle, la notion d'emprise a fait l'objet depuis quelques années de bien des analyses et dénonciations. On ne compte pas les livres parus, dont certains ont défrayé la chronique, où des femmes expliquent ce phénomène, que l'on retrouve pourtant dans bon nombre d'ouvrages de la littérature mondiale et "L'Héritage d'Esther" ne fait pas exception grâce à l'immense talent de Sandor Maraï, qui analyse de manière magistrale l'âme tourmentée de son héroïne, qui reste durant tout le récit d'une grande dignité et nous inspire le respect, ce qui est aussi la grande force de ce livre.
Ce très grand romancier, né en 1900, qualifié parfois à tort selon moi, de "Stefan Zweig hongrois", traversa le vingtième siècle et les drames qui ont secoué la Hongrie, dont il s'est exilé après quelques années d'errance en Europe, rejoignant finalement les Etats-Unis pour finir par se suicider en 1988 en Californie.
Sandor Maraï est un grand prosateur et un conteur au style classique, clair et pénétrant, auteur d'une oeuvre très importante, tant sur le fond que sur la forme, où dans ses romans et ses mémoires, il nous décrit ce qu'était le monde d'hier, à jamais englouti.
Christine Filiod-Bres - novembre 2021
mardi 6 avril 2021
vendredi 19 mars 2021
vendredi 1 janvier 2021
Tsugharu Foujita |
Une année de lectures
Parmi les livres lus cette année, j'en ai sélectionné dix qui ont retenu mon attention, dont pour certains découverts avec étonnement et émotion, celle que l'on ressent quand on prend conscience que l'on est en présence d'un grand texte, qui laissera sur nous son empreinte et qui nous donnera envie envie d'explorer l'oeuvre de son auteur.
LA TROISIEME PROSE
de Catherine FERRARI
Poésie 2017 - 2019 - Auto édition
La poésie de Catherine Ferrari est de toute beauté et me touche au plus haut point. Sensualité et ferveur mêlées, cette poétesse sait mieux que personne jeter le trouble dans nos corps et nos âmes et nous bouleverse par ses textes si forts, lesquels hélas sont encore en auto édition, ce qui est un non sens, eu égard à la qualité de son oeuvre. Elle est aussi photographe et son travail sur le noir et blanc est remarquable.
J'ai vraiment été sous le charme du récit que nous fait Céline DEBAYLE, de la seule rencontre amoureuse qui eût lieu entre Charles Baudelaire et celle qui lui inspira quelques uns de ses vers, Apollonie Sabatier. Une histoire pleine de sensualité, de jupons, de dentelles et de guêpières, mais c'est aussi celle d'un fiasco, car lorsque le poète approche de trop près sa muse il arrive que le charme soit rompu. On a un peu de peine pour Apollonie, que manifestement Baudelaire ne méritait pas, et ce n'est pas le moindre mérite de ce beau texte de nous la faire découvrir grâce à la plume alerte de Céline DEBAYLE.
J'ai été fascinée par "Les jardins statuaires" et Jacques ABEILLE aura été une grande découverte pour moi qui ne suis point trop séduite en général par le domaine fantastique. Mais ici il s'agit d'autre chose, d'un univers, au plus beau sens du terme, d'un style classique et limpide, comme on n'en lit plus guère, où un voyageur rencontre des jardiniers qui cultivent de bien étranges plantes. Il est assez rare de rencontrer un écrivain de la qualité de Jacques ABEILLE dans la littérature française contemporaine, et lui qui fût très proche des surréalistes, n'a pas la reconnaissance qu'il mérite, c'est une criante injustice qu'il ait été à ce point négligé, car son oeuvre est aussi singulière que passionnante. Le réduire à l'univers de la SF est à mon sens une erreur, car sa dimension est autre, et en fait un authentique prosateur. Un grand livre.