vendredi 1 janvier 2021


Tsugharu Foujita






Une année de lectures


Parmi les livres lus cette année, j'en ai sélectionné dix qui ont retenu mon attention, dont pour certains découverts avec étonnement et émotion, celle que l'on ressent quand on prend conscience que l'on est en présence d'un grand texte, qui laissera sur nous son empreinte et qui nous donnera envie envie d'explorer l'oeuvre de son auteur.




LA TROISIEME PROSE

de Catherine FERRARI

Poésie 2017 - 2019 - Auto édition

La poésie de Catherine Ferrari est de toute beauté et me touche au plus haut point. Sensualité et ferveur mêlées, cette poétesse sait mieux que personne jeter le trouble dans nos corps et nos âmes et nous bouleverse par ses textes si forts, lesquels hélas sont encore en auto édition, ce qui est un non sens, eu égard à la qualité de son oeuvre. Elle est aussi photographe et son travail sur le noir et blanc est remarquable.






 



J'ai vraiment été sous le charme du récit que nous fait Céline DEBAYLE, de la seule rencontre amoureuse qui eût lieu entre Charles Baudelaire et celle qui lui inspira quelques uns de ses vers, Apollonie Sabatier. Une histoire pleine de sensualité, de jupons, de dentelles et de guêpières, mais c'est aussi celle d'un fiasco, car lorsque le poète approche de trop près sa muse il arrive que le charme soit rompu. On a un peu de peine pour Apollonie, que manifestement Baudelaire ne méritait pas, et ce n'est pas le moindre mérite de ce beau texte de nous la faire découvrir grâce à la plume alerte de Céline DEBAYLE.






J'ai été fascinée par "Les jardins statuaires" et Jacques ABEILLE aura été une grande découverte pour moi qui ne suis point trop séduite en général par le domaine fantastique. Mais ici il s'agit d'autre chose, d'un univers, au plus beau sens du terme, d'un style classique et limpide, comme on n'en lit plus guère, où un voyageur rencontre des jardiniers qui cultivent de bien étranges plantes. Il est assez rare de rencontrer un écrivain de la qualité de Jacques ABEILLE dans la littérature française contemporaine, et lui qui fût très proche des surréalistes, n'a pas la reconnaissance qu'il mérite, c'est une criante injustice qu'il ait été à ce point négligé, car son oeuvre est aussi singulière que passionnante. Le réduire à l'univers de la SF est à mon sens une erreur, car sa dimension est autre, et en fait un authentique prosateur. Un grand livre.








Je n'ai jamais été déçue par un livre de Chantal THOMAS et "L'esprit de conversation" n'a pas fait exception à la règle. Sans doute parce que j'ai tant aimé la conversation, dont cette spécialiste du XVIIIe siècle, nous dit que c'est un plaisir merveilleux, qui fût à cette époque érigé au rang du grand art. Elle nous fait pénétrer dans les salons, celui de Mme de Rambouillet, de Mme du Deffand, à la personnalité fascinante,  et de Mme de Staël, en son joli château de Coppet. Chantal THOMAS nous décrit remarquablement, dans son style parfait et limpide, ce que fût l'atmosphère de ces salons et dresse le portrait de trois femmes d'exception, tout en nous donnant envie de redécouvrir  les romans de Germaine de Staël, dont"Corinne ou l'Italie", ce qui n'est pas la moindre des qualités de ce court mais passionnant texte de cette grande essayiste, mais aussi romancière qu'est Chantal THOMAS.









J'aime infiniment la lecture de biographies, et celle-ci est magistrale. Il faut dire que Dominique BONA est passée maître dans cet art si particulier qui consiste à raconter la vie des autres, cet auteure nous ayant déjà enchantés par le récit de celle de Berthe Morisot. Elle nous dépeint ici les dernières années de la vie de Paul Valéry et de sa passion pour Jeanne Loviton, dite Jean Voilier. Où l'on voit qu'en amour, il y en a toujours un qui aime plus que l'autre, et ici c'est Paul Valéry qui se consume pour une femme qui aura été sa révélation sensuelle, mais laquelle éprouve pour lui qui est bien plus âgé qu'elle, des sentiments plus mitigés, suscités avant tout par le statut de poète national qui était celui de Paul Valéry. Lorsqu'on a lu le Journal si pathétique de Catherine Pozzi, qui fût follement éprise de Valéry hélas en pure perte, car les sentiments du poète étaient un peu plus tièdes, on ne peut s'empêcher de penser qu'il aura lui aussi connu les affres de la passion qui l'ont tant dévasté à la fin de sa vie. Il reste que la personnalité de Jean Voilier est intéressante dans ce qu'elle traduit de la farouche indépendance et de la modernité d'une femme qui ne voulait pas se laisser enfermer dans les tourments de l'amour. Elle aura également inspiré au grand poète français quelques uns de ses plus beaux vers. Ce récit, qui se dévore, est une réussite.





Je n'ignore pas que la personnalité de Sylvain TESSON est assez controversée, mais pour ma part, il se trouve que j'ai plaisir à lire l'écrivain et je ne m'arrête pas à certaines de ses prises de positions, car ne faut-il pas savoir distinguer l'homme de l'oeuvre, pour reprendre une expression qui a été fort déclinée tout au long de cette année 2020 ?  J'ai aimé ce Journal où il traite de thèmes très divers allant bien sûr de ses voyages, où en géographe de formation, il se montre en quelque sorte comme un gardien des paysages, de ses lectures classiques où le monde grec tient une large place, de son long séjour à l'hôpital , suite à son tragique accident qui l'a laissé physiquement diminué, et à cet égard cette partie du journal est riche de réflexion. Ce qui frappe dans cette lecture c'est la multiplicité de ses centres d'intérêt, qui vont de la géopolitique, à la description de l'émotion suscitée par l'audition d'un très beau chant militaire, ou le récit drôle d'une soirée alcoolisée avec une jeune polonaise de Mazurie, où il est question de Pan Tadeusz, et de la vodka du même nom, en mémoire du grand poète polonais Adam Mickiewicz. Et voyez-vous c'est pour une anecdote de ce genre que j'apprécie la lecture de Sylvain Tesson, car qui d'autre que lui, parmi les écrivains français, saurait nous dire ce qu'est Pan Tadeusz ? Le tout dans un style classique et clair, qui est sa marque et qui fait très certainement une partie de son succès. Un seul bémol peut-être, il s'essaye au genre exigent qu'est l'écriture d'aphorismes, discipline redoutable, dans laquelle c'est le moins qu'on puisse dire, il n'excelle pas encore vraiment ... Ceci mis à part, cette "très légère oscillation" est un plaisir de lecture comme à peu près toute l'oeuvre de cet écrivain, et après tout qu'y-t-il de plus sérieux que le plaisir ?
 



Littérature Japonaise


Au temps jadis les dames avaient leurs livres d'heures, eh bien moi j'ai mes livres de haïkus, que je lis, relis, compulse à loisir, et notamment cette année avec la parution de neuf cent soixante quinze haïkus rédigés par Basho, au cours de sa vie, même si l'on sait qu'il en écrivit au moins deux mille. Ce fils de samouraï fut initié à cet art par un maître et il fonda ensuite sa propre école dite de Shômon. Ayant voyagé une grande partie de sa vie au Japon, dans des conditions précaires, il fréquentait les ermitages, expérience qui a inspiré une grande partie de son oeuvre.  Cette parution m'a réjouie car j'aime infiniment cet art qui est aussi une discipline assez stricte quant à sa forme, et une gymnastique pour l'esprit. Les haïkus de Basho sont très divers, parfois simples, parfois un rien hermétiques, ce qui ne nuit pas à leur charme, la nature y est très présente mais aussi les gens simples qu'il pouvait rencontrer dans ses pérégrinations, certains sont pleins d'humour, d'autres empreints de tristesse, et la succession des saisons est une inspiration majeure, de même que les scènes de la vie quotidienne, comme un thé agrémenté de gâteaux, pris devant l'âtre. Ce recueil m'a enchantée et il m'accompagne à chaque nouveau matin du monde.







 
  
Ce livre étonnant, troublant, voire dérangeant par moments, a été une grande surprise et je ne suis pas près de l'oublier. L'auteure nous conte l'histoire d'une jeune femme, vraisemblablement autiste Asperger, mais ça n'est jamais clairement exprimé dans le roman, qui donne un sens à sa vie en se réalisant en tant qu'employée modèle d'un Konbini, chaîne de magasins qui maillent les territoires japonais. Leur fonctionnement très strict, tant du point de vue de la formation ultra disciplinaire des personnels, qui frise l'endoctrinement, que la relation à la clientèle, érigée en dogme puissant, constitue une critique de certains aspects aliénants de la société japonaise, mais paradoxalement permet aussi à l'héroïne de trouver sa place en ce monde. Il y a quelque chose de Kafkaïen dans ce court roman, qui en fait la singularité et l'originalité, et qui m'a donné très envie de continuer à explorer l'oeuvre de Sayaka MURATA.










Voilà un très beau roman, qui a encore conforté mon grand intérêt pour la littérature japonaise, à travers ses romancières, après avoir beaucoup exploré les oeuvres de leurs collègues masculins très célèbres. Il s'agit là d'une sorte de saga retraçant la vie de trois générations de femmes qui va du début du vingtième siècle aux années d'après la seconde guerre mondiale. Les destins des mères, filles et petites filles nous sont contés, sans oublier les fils, avec en arrière plan les évolutions de la société japonaise. Le fossé des générations est extrêmement bien décrit, notamment à travers les prémisses du féminisme survenant dans ce pays où le rôle de la femme a longtemps était très strictement codé. L'aspect historique est également passionnant, où l'on voit que le Japon  et sa population ont énormément souffert après la défaite et l'occupation américaine, avec la ruine de nombreuses familles tombées dans la pauvreté à cause d'une crise économique terrible. Des personnages aussi différents qu'attachants, aux prises avec les événements historiques et culturels auxquels ils sont confrontés, donnent à ce roman un côté Balzacien au plus beau sens du terme. Sawako ARIYOSHI, décédée en 1984 à cinquante trois ans, a cependant produit une oeuvre aussi prolifique que diversifiée dans ses thèmes, qui est largement traduite en français, ce qui permettra aux lecteurs de la découvrir.










J'ai déjà dit tout le bien que je pensais des "Tendres plaintes" de la romancière japonaise Yoko OGAWA, dans la chronique que j'ai consacrée en novembre 2020 à ce livre sur le Blog, je n'y reviendrai donc pas ici, mais il s'agit là d'un roman qui a beaucoup compté dans mon parcours littéraire de cette année 2020. 

















Christine Filiod-Bres
1er janvier 2021




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