vendredi 20 novembre 2020

 





Les Tendres Plaintes

Yoko Ogawa 



    Yoko Ogawa appartient à la race des écrivains qui ont un univers, et les lecteurs qui auront la curiosité de s'y aventurer se souviendront de leur voyage. Cette romancière japonaise a construit au fil du temps une oeuvre importante, ô combien singulière, s'approchant parfois des rives du monde fantastique, quelquefois dérangeante, le tout nous laissant une impression durable.


    

"Les tendres plaintes", très belle pièce de clavecin de Jean-Philippe Rameau, compositeur et musicien français du XVIIe siècle, est la trame de ce récit qui se situe pourtant au Japon. Ruriko, qui exerce à Tokyo le beau métier de calligraphe, prend la décision de quitter un mari volage et violent, pour se réfugier dans le chalet de ses parents, au milieu d'une forêt qui joue un rôle très important dans le roman. Les premiers jours de Ruriko sont consacrés à retrouver une certaine sérénité et organiser sa nouvelle vie, en continuant son travail de calligraphe, tout en renouant des relations de voisinage avec la tenancière du Grasshopper, un hôtel de tourisme saisonnier, qu'elle a connue par le passé et qui lui témoigne une certaine bienveillance.


    Mais la forêt est fréquentée par d'autres  hôtes, et c'est ainsi qu'au cours d'un incident, dont on ne divulguera pas la nature, Ruriko est amenée à quitter en pleine nuit son chalet et s'enfuit. Elle fait alors la connaissance de Nitta, chez lequel elle se réfugie, un célèbre pianiste qui a renoncé à se produire en public, est devenu facteur de clavecins et occupe son temps à fabriquer des instruments qu'il veut les plus achevés, tant dans l'assemblage des bois dont ils sont faits que dans la recherche du son parfait. Au cours de cette nuit, il réconforte Ruriko, soigne ses pieds écorchés et lui présente son vieux chien quasi aveugle Donna, avec lequel il vit. La jeune femme qui a reçu bien peu d'attention durant son mariage, est immédiatement sensible  à la personnalité bienveillante de cet homme dont on verra qu'elle est bien plus complexe qu'il n'y paraît.

    Au fil du récit, on découvre que Nitta n'est pas seul dans son travail et est aidé par Kaoru, son assistante, qui partage son idéal de perfection et d'ascèse, et qui vit à proximité. Cette jeune femme, qui par le passé a connu une tragédie qui l'a marquée, fait preuve à l'égard des autres de la même attention que son mentor, traite Ruriko avec la plus grande gentillesse et s'attache à s'en faire une amie.

    C'est ainsi que se forme alors un trio fait de réunions autour d'un thé ou de déjeuners et dîners, dans la maison de Nitta. Les journées sont rythmées par le travail du maître et de son apprentie, sous le regard fasciné de Ruriko, qui s'échappe quand même pour réaliser le sien et honorer une importante commande de calligraphie, ou pour faire quelques escapades à Tokyo, afin de rencontrer son mari et envisager les démarches administratives de leur divorce, perspective qui la laisse enfin indifférente, tant elle a désormais le sentiment d'être passée à autre chose. Elle en profite aussi pour retrouver son professeur de calligraphie, femme d'expérience, perspicace et entreprenante, qui l'encourage à créer son propre atelier, et même à revenir dans la capitale, craignant que l'atmosphère envoûtante de la forêt, même si elle a permis à Ruriko de trouver le calme dont elle avait besoin, ne soit in fine pour elle une source de déception.


    Ruriko est sourde aux recommandations de son professeur et rejoint ses amis pour former à nouveau le trio harmonieux qui la comble, lequel ne va pas tarder à se fissurer car Nitta est aussi un séducteur qui a déjà ébranlé ses défenses, lesquelles sont encore plus fragilisées lorsqu'elle découvre un beau jour que Nitta qui ne joue plus jamais pour personne depuis longtemps, offre à Kaoru une interprétation des Tendres Plaintes de Jean-Philippe Rameau, célèbre pièce française du répertoire. 

    Je tairai, pour ne pas gâcher le plaisir des lecteurs, les différentes péripéties qui amèneront Ruriko et Kaoru à devenir rivales dans leur amour pour Nitta, lequel n'abandonnant jamais son calme, tel un dieu de l'Olympe, essaye de dénouer la situation tout en préservant  l'équilibre qu'il tente de conserver, mais qui est mis à l'épreuve des sentiments des deux jeunes femmes, alors que son choix est fait depuis longtemps et qu'il n'entend pas y déroger. 


    Le drame s'est noué autour de Ruriko, jeune femme sensible et fine, sans doute trop romanesque, qui s'est heurtée à la réalité de la relation entre Kaoru et Nitta, faite du vécu quotidien, de la recherche perfectionniste dans le travail, le tout mêlé pour lui à une certaine forme de compassion pour cette assistante fidèle, qui a frôlé le tragique dans une vie antérieure.    Mais Ruriko, rendue vulnérable au cours des années par le manque d'attention dont elle a souffert,  a compris à son grand désespoir, qu'elle n'avait pas sa place dans ce théâtre d'ombres.


  Elle poursuivra son chemin de calligraphe talentueuse et aura une fois encore l'occasion d'entendre à Tokyo un concert de clavecin. "Soudain, les applaudissements ont éclaté. Des applaudissements interminables. Le public qui se levait s'apprêtait à s'en aller. Sur la scène, le clavecin est resté seul. L'interprète jusqu'à la fin n'avait pas joué Les Tendres Plaintes."


  Comme me l'avait dit un jour une lucide et fine observatrice des relations humaines "Si on ne sait pas pourquoi certains êtres sont ensemble et si on s'interroge sur la nature de ce qui les relie, eux le savent". Le très beau roman de Yoko OGAWA ne nous dit pas autre chose, avec le talent et la profondeur qui caractérisent cette grande dame des lettres japonaises.
    

     










4 commentaires:

  1. Merci ,je sais pourquoi je vous lis,vos découvertes et les mots des broderies pour l'esprit.

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  2. Merciiiii cristine
    Marianne Kimmenau

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    1. Merci beaucoup. Ravie que cette chronique ait retenu votre attention. Bien à vous.

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