mardi 13 août 2019


Adolphe
Un roman de Benjamin Constant


Image tirée du film "Adolphe" de Benoit Jacquot (2002)


Il semble que tout ait été dit à propos d'Adolphe, le très beau roman de Benjamin Constant, un des fleurons de la littérature française dans le domaine de l'analyse du sentiment amoureux et de ses déploiements tragiques. Mon rôle se bornera donc ici à inciter le lecteur à le découvrir, comme je l'ai fait, après lui avoir tourné autour durant quelques années, tant il est vrai qu'il y a un temps pour lire certains livres, qui viennent enfin à nous parce que de l'état d'esprit dans lequel on se trouve à un instant donné, nous incite à leur accorder l'attention qu'ils méritent.


Ce texte, assez court de cent soixante et onze pages, préfaces comprises, car il y en a trois qui ont leur importance, est écrit à la première personne par le héros, Adolphe, jeune aristocrate faisant ses débuts dans le monde, qui nous conte son histoire d'amour tumultueuse  avec Ellenore, polonaise de dix ans son aînée, ayant subi des revers de fortune liés à la situation politique très troublée de son pays, vivant en Allemagne sous la protection du Comte de P...., à qui elle a donné deux enfants. Adolphe fait sa connaissance après avoir quitté Göttingen pour s'éloigner d'un père avec lequel il entretient des relations difficiles, pour s'établir dans une de ces petites cours germaniques qui existaient avant 1806.



Le jeune homme dès l'instant où il voit Ellenore, n'a de cesse de la conquérir, passant outre le fait que malgré son déclassement social, elle est une femme respectable, mère de famille, qui éprouve estime et affection pour son protecteur, lequel ne l'a cependant pas épousée. A ce moment là du récit il est intéressant d'observer qu' Ellenore n'accorde pas beaucoup d'attention à Adolphe, le ramenant à la raison jusqu'à l'éconduire dans un premier temps.


C'est pourquoi, il est permis de se demander si, en observant cette réserve distante, elle n'a pas eu l'intuition profonde de son malheur futur et si le rapprochement des deux héros ne s'est pas fait sur des impressions trompeuses, liées pour lui à son esprit de conquête d'une femme encore jeune et belle, et pour elle, à la monotonie de sa vie retirée. Mais ce  ne sont là que des suppositions, car le roman essentiellement conçu selon le point de vue d'Adolphe, nous dépeint une Ellenore plutôt en retrait, à quelques rares exceptions près, notamment dans le dernier chapitre, où le récit nous la montre davantage sous l'angle de la passion.


Et c'est ainsi qu'Ellenore nous apparaît comme une sorte de belle au bois dormant qui aurait rencontré son prince, lequel l'aurait révélée à elle-même. Mais en l'espèce, il n'aura ranimé que le feu mal éteint d'un tempérament ardent, longtemps mis sous l'éteignoir d'une vie calme et sécurisante, mais dépourvue d'intensité. La cour empressée d'Adolphe, qui lui avoue son amour, aura finalement raison d'elle et leur relation s'embrase, leur faisant perdre toute espèce de prudence.  Il s'agit là du fameux phénomène  de "cristallisation", si bien défini par Stendhal dans son magnifique traité intitulé "De l'Amour", lequel aura cependant sur le roman de Benjamin Constant, un point de vue tranchant comme il en était capable, en disant à son propos :"Un marivaudage tragique dont la difficulté n'est point comme chez Marivaux de faire une déclaration d'amour, mais une déclaration de haine."

Est-ce à dire qu'après l'amour survient parfois la haine ? Peut-être un mot trop fort de la part de Stendhal, eu égard à la teneur des sentiments décrits entre les deux amants par Benjamin Constant, mais l'auteur du "Le rouge et le noir"avait eu, comme on le sait, grandement à souffrir des tourments de l'amour.  


Pour ne pas trop dévoiler le déroulement du récit, et laisser au lecteur le plaisir de sa découverte, je passerai sur les différents événements qui entraînent ce couple illégitime vers l'abîme. Ces troubles liés pour une grande part à l'opposition des aspirations d'Adolphe, jeune homme influençable et inconsistant, découvrant le jeu de la conquête amoureuse, sentant confusément au fond de lui dès le départ, que cet épisode ne pourra le mener nulle part, et celles d'Ellenore, qui voit dans cet amour inconditionnel une manière de donner un sens à sa vie, bravant tous les interdits sociaux qui prévalaient à cette époque, pour les femmes de sa condition. Trop passionnée, devenant surtout trop possessive, exigeant trop de son amant, elle finira par le lasser, d'autant que celui-ci, soumis à la pression paternelle qui le conjure de renoncer à cette liaison scandaleuse avec une femme sans avenir, trouve là un prétexte fort bienvenu pour tenter d'y mettre fin, mais avec tant d'indécision et de maladresse qui seront la cause du désespoir d'Ellenore.



Benjamin Constant - 1767 - 1830



Rarement en littérature les atermoiements douloureux de la fin d'un amour, qui ici prennent un tour tragique, n'auront été aussi bien décrits que dans le grand roman de Benjamin Constant, lequel, si on se penche sur les relations qu'il a entretenues avec les femmes, qui furent compliquées, ambigües,  menant de front plusieurs liaisons, créant ainsi une confusion qui en fit souffrir plus d'une, Madame de Staël, Charlotte de Hardenberg et Anna Lindsay notamment, s'est sans doute inspiré de son expérience personnelle, bien qu'il s'en soit défendu évidemment. 

Napoléon, qu'il a combattu politiquement avec une grande énergie, considérait "Qu'en amour, la seule victoire c'est la fuite" ... On peut dire qu'en la matière, Benjamin Constant a fait sien cet adage, et je ne vois guère que Juliette Récamier, qui le tint à distance, ayant sans doute décelé les travers d'un homme, certes éminemment séduisant et brillant intellectuel,  mais essentiellement préoccupé de lui-même.


Cela dit, il n'en demeure pas moins que Benjamin Constant a offert au monde un chef d'oeuvre plein de ferveur, une analyse pénétrante d'un amour voué à l'échec, au style classique dans le plus beau sens du terme, mais qui singulièrement nous touche par son intemporalité, ce qui est la marque des grands textes, de ceux qui nous émeuvent au plus profond de nous-mêmes et nous laissent une empreinte durable.










Christine Filiod-Bres
Août 2019











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