mardi 3 décembre 2019





Journal d'un recommencement

de Sophie DIVRY

où ... la tristesse des paroisses




Photo C. FB 



"Elle a besoin d'aller à l'église tous les dimanches. Elle ne s'agenouille pas durant la messe. Elle ne se souvient pas d'avoir eu peur de Dieu. Certains jours elle se dit qu'être chrétienne aide à supporter la vie, d'autres jours elle se dit qu'être chrétienne ne dissipera jamais le sentiment d'absurdité de l'existence. Elle tutoie son curé. Elle ne croit pas à l'enfer. Elle ne croit pas au paradis. Elle ne croit pas que Jésus reviendra sur terre, du moins pas de son vivant."





En ces temps d'obscurantisme, où les églises de notre pays sont profanées tous les jours, de même que les cimetières,  et il faut bien le dire dans l'indifférence générale, excepté le courage de quelques petits groupes qui se mobilisent pour les protéger, ce "Journal d'un recommencement", fait figure de petit ovni littéraire, d'autant qu'il émane d'une jeune auteure, Sophie DIVRY, que l'on n'attendait vraiment pas sur ce terrain là.

Ce très court récit de moins d'une centaine de pages, est le journal tenu par la narratrice qui assiste chaque dimanche à la messe du matin, parfois à celle du samedi soir, dans différentes églises de Lyon où elle vit, ainsi que dans certaines paroisses de régions françaises, avec une incursion en Italie au Duomo de Ravenne. En même temps que la description très précise des offices, c'est aussi celle de son retour à la foi au sein de l'église catholique après plusieurs années où elle s'en était détournée à l'adolescence.

Empreinte d'une grande mélancolie, cette recension régulière nous touche par sa lucidité, parfois teintée d'humour au second degré, et dresse par petites touches impressionnistes un état de l'atmosphère des paroisses de France, avec leurs prêtres souvent âgés, et pour les plus jeunes, qui essayent de faire de leur mieux pour accueillir des fidèles solitaires, venus là pour certains afin de conjurer une certaine forme d'isolement et trouver un peu de dialogue et de chaleur humaine. Les messes ne sont guère exaltantes, les chants mièvres et les prêches ennuyeux, quand ils ne sont pas carrément ineptes. Quelquefois un organiste dévoué à la paroisse, apporte un peu de ferveur sans parvenir cependant à atténuer un certain sentiment de vague à l'âme éprouvé par la narratrice, qui nous décrit aussi les efforts de quelques membres de la communauté paroissiale, pour animer des groupes de discussion, des apéritifs offerts après les offices, où un dialogue se noue entre les habitués.

Mais ce Journal est aussi et surtout le récit émouvant de la foi qui anime à nouveau la narratrice, après plusieurs années d'éloignement et une certaine forme de révolte critique et de lassitude face à ce que désormais elle accepte très simplement et dont elle se nourrit, ce rituel des messes hebdomadaires, dont elle ne saurait se passer et qui sont devenues un besoin irrépressible, tout en s'interrogeant sur sa nature.  Car si la perte de la foi peut sembler être un basculement dans l'abîme, la recouvrer est un peu comme pénétrer à nouveau dans une maison où brûle un feu de cheminée apaisant et chaleureux.

Et c'est ainsi qu'elle nous dit : "Moi elle m'a apprivoisée cette modeste gratuité ; par ces rendez-vous fixes le dimanche matin ; je me suis fait prendre, reprendre. Peut-être y avait-il déposé au fond de moi, le besoin d'un tel rituel ; besoin d'y participer ; je pensais m'ennuyer mais j'avais sous estimé la force de ce charisme froid, sans sympathie, sans plaisir et sans utilité ; sous-estimé la présence de cette liesse plate qui m'anesthésie l'esprit ; là ; qui tendrement m'envahit et une heure plus tard me laisse avec le sentiment de ressortir moins bête, plus calme et plus humaine. Mais c'est sans doute un effet de ma croyance qui me fait écrire cela."

Cependant, même si ce journal est aussi un regard sans concession sur un certain état de l'église en France, où l'abandon et le dénuement sont perceptibles, la narratrice fait toujours preuve de compassion et de respect à l'égard des fidèles qu'elle retrouve chaque semaine. Il ne s'agit pas là d'un procès à charge et on sent bien qu'elle aimerait vraiment qu'il en soit autrement, tout en se demandant comment on a pu en arriver là.

Ainsi : "Jadis les églises avaient davantage les moyens d'impressionner les gens : morceaux d'orgue assourdissants, flopées d'enfant  de choeur, grandes chasubles, nuages d'encens et terribles sermons prononcés d'une hauteur. Ces moyens permettaient d'asseoir une autorité, avant. Quand cela s'est-il arrêté ? Je me le demande aujourd'hui, tandis que l'organiste emplit l'église de sons si longs, si forts, si puissants, qu'ils soufflent les conversations, et qu'à leur arrêt l'assistance se trouve surprise, silencieuse, prête à recevoir "la Parole". C'est l'effet escompté. Un temps les gens restent graves. Puis les choses reprennent leur tour ordinaire : le sermon nul, les chants faibles ; une messe du dimanche exécutée à la va vite par des prêtres un peu las, écoutée sans attention par ceux qui ont raté celle du matin pour avoir trop dormi. L'indifférence est générale ; le spectacle inintéressant. Je me trompe peut-être en disant que la pompe catholique n'existe plus ; lors des grandes fêtes ou dans les paroisses traditionalistes, on la retrouve ; il semble pourtant que personne n'est dupe, c'est du "comme si" ; artifices regardés avec curiosité, voire photographiés ; ce n'est plus qu'une trace, un souvenir, un remake en somme. A quel moment est-on passé du naturel au surfait ?"


Le constat de notre narratrice désole et interroge ceux qui sont animés par la foi catholique et constitue une question centrale, laquelle ne semble pas préoccuper plus que ça les hautes autorités de l'église de France, que l'on n'entend très peu sur ce thème pour ne rien dire du Vatican, qui depuis une quarantaine d'années s'est davantage attaché à faire de la politique plutôt qu'à réfléchir sur la manière dont le berger pourrait ramener les moutons dans la bergerie. Cette réflexion, qui est la mienne, et que j'assume en ma qualité de chrétienne, est me semble-t-il en filigrane dans l'ouvrage bouleversant de Sophie DIVRY et c'est ce qui en fait le prix, la force et la singularité.






Sophie DIVRY est une jeune auteure qui ne fait pas les gros titres de la presse littéraire, mais qui élabore au fil du temps une oeuvre originale, au style sobre, mais souvent percutant, dont je recommande chaleureusement la lecture. Je la suis depuis un certain temps et j'avais déjà consacré une chronique à un de ses précédents livres "La condition pavillonnaire". Elle vit et travaille à Lyon. Plusieurs de ses livres sont publiés aux Editions Noir sur Blanc - Notabilia. 














Christine Filiod-Bres
décembre 2019






















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