samedi 29 octobre 2016





Juliette Récamier
L'Art de la séduction

de
Catherine Decours


Joseph Chinard - Buste de Juliette Récamier - Musée des Beaux Arts de Lyon



Catherine Decours, historienne, nous livre ici un point de vue très intéressant sur "La belle des belles", respectueux, mais point hagiographique, nuancé et subtil.


Chromolithographie de Juliette Récamier
 publiée à New-York en 1857
Une étude qui, grâce à l'analyse approfondie des archives et à la grande connaissance du contexte historique, a le mérite d'éclairer certaines zones d'ombre attachées à la célèbre lyonnaise. En effet, la pratique historienne de Catherine Decours, nous montre que bien des précédents ouvrages consacrés au même thème, avaient tendance à céder davantage aux envolées lyriques, au détriment de la réalité historique, notamment en ce qui concerne la naissance de Juliette Récamier, et les différents commérages colportés par certains membres assidus, des brillants salons qu'elle a animés durant une grande partie de sa vie.




Deux robes de Juliette Récamier
Elle n'est également pas dupe de la grande séductrice que fut Mme Récamier, une des femmes les plus admirées de son temps, et attire l'attention sur l'aspect quasiment pathologique de sa coquetterie, souvent source de complications dans les relations humaines et affectives qu'elle entretenait avec son entourage ; mettant celle-ci sur le compte d'un mode de défense et de réaction, face à son mariage très précoce avec un homme bien plus âgé qu'elle, pour lequel elle n'éprouvait qu'une affection respectueuse. Mais ce portrait nous dit également que cette coquetterie était amplement contrebalancée par les grandes qualités humaines de Juliette Récamier, son infinie loyauté en amitié, sa fidélité et son courage dans bien des circonstances, notamment sur le plan politique.



Pantoufle ayant appartenu à Juliette Récamier


L'auteur fait également preuve d'une grande humilité en précisant toujours, qu'en l'absence de documents et d'éléments probants, mieux vaut reconnaître que l'on ne sait rien et qu'il en sera toujours ainsi, ce qui confère au sujet que l'on traite, une part de mystère.





Le salon de Juliette Récamier à l'Abbaye-aux-Bois
Enfin, le grand intérêt de cet ouvrage, écrit, il est important de le dire, dans un très beau style, ce qui en fait une lecture vraiment agréable, est qu'il brosse le formidable portrait d'une époque avec en arrière plan l'analyse fouillée de la personnalité de Madame de Staël, amie fidèle et tourmentée, de Napoléon, de Benjamin Constant, de Chateaubriand, dont il semble qu'il fût le seul amour véritable de Mme Récamier, et de quelques lyonnais qui lui furent très attachés comme Simon Ballanche et Camille Jordan, entre autres.




Claire Basler
Le mot de la fin revient à Juliette qui, se souvenant des derniers moments de sa jeunesse à Lyon, au sortir du Couvent de la Déserte, avant de rejoindre Paris et le fol avenir qui allait être le sien, écrivait : "Je quitte à regret  une époque si calme si pure pour entrer dans celle des agitations. Elle me revient quelquefois dans un vague et doux rêve avec ses nuages d'encens, ses cérémonies infinies, ses processions dans les jardins, ses chants et ses fleurs."






Catherine Decours





Christine Filiod-Bres
Vert Céladon - 29 octobre 2016


    



samedi 1 octobre 2016

Siri Hustvedt - La femme qui tremble





Siri Hustvedt


La femme qui tremble

Une histoire de mes nerfs



Photo William Eggleston



"En mai 2006, je me suis levée sous un ciel bleu sans nuages et j'ai commencé à parler de mon père, qui était mort depuis plus de deux ans. Dès que j'ai ouvert la bouche, je me suis mise à trembler violemment. J'ai tremblé ce jour là et puis j'ai tremblé à nouveau d'autres fois. Je suis la femme qui tremble."


S'il est une constante dans l'oeuvre de la romancière américaine Siri Husvedt, c'est l'intérêt qu'elle porte aux neurosciences, qui se manifeste tant dans le présent essai "La femme qui tremble" que dans certains de ses romans, notamment "Elégie pour un américain".


Le tremblement dont elle fut saisie un jour , alors qu'elle venait de prendre la parole devant un public amical et attentif, pour évoquer la mémoire de son père, professeur à l'université du Minessota, titulaire de la chaire de norvégien, ne l'a plus quittée depuis, a modifié sa vie, son rapport au monde, et a été la source de multiples recherches et questionnements. Ce phénomène n'a heureusement pas altéré ses facultés créatrices puisqu'elle a, depuis lors, publié plusieurs romans.


"Il y a dans toute maladie quelque chose qui semble venu d'ailleurs, l'impression d'une invasion et d'une perte de contrôle, évidente dans notre façon d'en parler. Il semblait que quelque chose en moi se soit terriblement déréglé mais quoi exactement ? Je décidai de partir à la recherche de la femme qui tremble." 



Dans  cette quête courageuse, passionnante et éprouvante, Siri Hustvedt ne nous cache rien de ses recherches documentaires, de ses lectures sur un sujet qui la hante, de sa participation à des groupes de discussion au Mount Sinaï Hospital, au sein de l'Institut Psychanalytique de New York, où elle est invitée à des conférences mensuelles sur les sciences du cerveau.


Lisant tout ce qui lui tombe sous la main sur ces thèmes, elle s'engage même dans l'animation d'ateliers d'écriture, auprès de malades atteints de syndromes complexes,  au sein de la Whitney Payne Psychiatric Clinic.




Siri Hustvedt


Faisant inévitablement le lien entre la mort de son père et ses tremblements, elle passe au crible les travaux de Charcot sur l'hystérie, de même que sur ceux de Freud, dont elle rappelle qu'il était avant tout un neurologue et qu'il s'est énormément intéressé aux prémisses des neurosciences et aux phénomènes dits de convulsions, comme les tremblements par exemple.


La lucidité et la franchise avec lesquelles Siri Hustvedt aborde la pathologie dont elle souffre et ses causes éventuelles, dont l'hystérie, considérant qu'il pourrait s'agir d'un tel phénomène, force le respect, car il faut avoir été confronté, à de telles manifestations physiques pour comprendre à quel point elles peuvent être angoissantes, handicapantes et sources de multiples interrogations. 


Rappelant avec raison que "Nul d'entre nous ne fait le choix de la maladie chronique. C'est elle qui nous choisit." et que sans doute à cause de son arrivée tardive dans sa vie, elle a eu beaucoup de mal à accepter cette femme qui tremble et dit que "Au fur et à mesure qu'elle me devient familière, elle passe de la troisième à la première personne, pour n'être plus un double détesté mais une partie de moi dont le handicap est admis."


A l'heure qu'il est, et depuis l'année 2006, Siri Hustvedt est toujours soumise à ses tremblements et cet essai passionnant où elle analyse en profondeur l'évolution de la neurologie et expose le cas de nombreux patients, lui aura seulement permis de mettre à distance cette pathologie avec laqelle doit composer chaque jour de sa vie.

Il faut cependant préciser au lecteur que cet essai, qui se veut très didactique dans les domaines qu'il explore, n'est en rien difficile d'accès, grâce au style limpide de Siri Hustvedt, qui est avant tout la grande romancière américaine que l'on sait, dont je ne peux que recommander chacun des livres qu'elle a publiés, mais qui s'attache ici à faire oeuvre de recherche, d'interrogation et d'information. 


Puisse ce remarquable texte, foisonnant, tant sur le plan de l'histoire des neurosciences, de la psychologie, de la psychanalyse et de ses acteurs, aider un tant soit peu à réfléchir ceux qui ont à vivre un handicap de cette nature et leur permettre de trouver un certain apaisement. Rien que pour cela, grâce lui soit rendue.





N.B. - L'essai de Siri Hustvedt est accompagné, en fin de volume, d'une très importante bibliographie, relative aux neurosciences et à leur lien avec la psychanalyse et la psychologie, à laquelle on pourra éventuellement se référer.



Christine Filiod-Bres

septembre 2016


La femme qui tremble

Une histoire de mes nerfs
Essai traduit de l'anglais (américain)
par Christine Le Boeuf