vendredi 29 janvier 2016

Ataxia - Petit poème en prose





Ataxia


Vacillante et hésitante


Le vent n'est plus son ami

Il faudrait qu'elle s'en balance






Photo Mirjam Appelhof









Christine Filiod-Bres
septembre 2015



mardi 12 janvier 2016

Back Street - Un amour de perdition - Fannie Hurst




The Skater - Prince Pierre Troubetzkoï -  (1864 - 1936)




BACK STREET - Un amour de perdition

Fannie Hurst


"Ce qu'il y a d'admirable en vous Ray, c'est que vous n'êtes pas femme à vous emballer pour un propos de ce genre. Vous me comprenez ?"

"Oui, je comprends Walter" et elle avait l'impression qu'on lui arrachait le coeur.


Fannie Hurst

Back Street




Si dans la littérature du vingtième siècle, il est une oeuvre qui décrit admirablement, tout en suscitant une intense émotion, les ravages de la passion amoureuse vécue dans la clandestinité, c'est bien "Back Street", le roman de l'américaine Fannie Hurst.

Le malheur féminin en amour, personnifié par Ray Schmidt, jeune américaine menant à New York au début du vingtième siècle une vie indépendante, ainsi que le manque d'estime de soi et l'impossibilité d'exprimer ses sentiments, sont les ressorts principaux de ce livre, quasi archétypal quant à la description de la condition morale et sociale des deux héros.



Ray, jolie jeune femme sans complication, toujours vêtue avec élégance, suscite chez la gent masculine, l'idée que l'on peut la traiter avec une certaine désinvolture sans que cela porte à conséquence. Hors, il n'en n'est rien et le récit nous montre, lors de ses moments d'introspection qui font la richesse et la profondeur du roman, sa parfaite lucidité sur une situation dont elle souffre, doublée d'une exigence sur le sens de sa vie.



Mais d'une certaine manière, le hasard y a déjà pourvu en mettant sur sa route, cinq ans auparavant, Walter Saxel, riche banquier, comme elle originaire de Cincinnati, mais que la situation du jeune homme, en passe d'épouser la fille d'une très bonne famille de la société juive de la ville, avait conduit Ray à s'effacer, à travers une péripétie du roman, ô combien émouvante et significative des différences sociales, qui sont une des composantes majeures du roman.



Back street - John Stahl - 1932



Et c'est, lors d'une seconde rencontre fortuite avec Walter, que son destin bascule. Si elle a été très courtisée et a refusé une demande en mariage qui lui aurait apporté une sécurité affective et matérielle, elle sent confusément que sa vie l'appelle ailleurs et elle prend conscience qu'elle n'a jamais vraiment oublié Walter Saxel. Lui aussi, demeuré marqué par cette première ébauche et craignant de la voir lui échapper, conçoit alors en homme pragmatique et calculateur, un plan lui permettant de s'attacher la jeune femme, tout en continuant à mener son existence officielle auprès de son épouse et sa famille.



Irene Dunne dans le rôle de Ray Schmidt 
Back Street de John Stahl - 1932

On peut mesurer l'intensité des sentiments éprouvés par Ray envers Walter à travers ce passage du roman : "Cela arrivait et le merveilleux pour Ray était que la partie de sa vie où elle ne l'avait pas connu, semblait n'avoir jamais existé. Chose terrible en un sens, parce que même cette période qui avait si récemment contenu l'adorable figure de son père, se perdait dans l'irréalité des jours où Walter n'existait pas encore."





C'est ainsi que Ray, devenue la maîtresse clandestine de Walter Saxel, s'engage dans une spirale dévastatrice où l'attente d'une visite de l'homme qu'elle aime constitue l'essentiel de ses jours dans cet appartement dont il paye le loyer, par le biais d'une somme d'argent déposée chaque mois dans un vase, de manière implicite et discrète.


Plusieurs analystes du roman ont beaucoup glosé sur ce vase, symbole de la soumission de Ray à un homme qui n'a de cesse de la maintenir à sa disposition ; le vase étant également le révélateur du non dit qui prévaut dans leur relation puisque à aucun moment Walter ne lui remet cet argent directement, mais a besoin pour cela d'un objet transitionnel.


La vie de la jeune femme s'organise ainsi à travers les visites impromptues de Walter, homme d'affaires très occupé par sa profession de banquier et ses devoirs familiaux. Soucieux de maîtriser cet emploi du temps compliqué, il suggère à Ray de quitter son emploi de vendeuse dans le grand magasin où elle s'épanouissait, afin d'être complètement disponible pour lui. En acceptant par amour, le sort que son amant se propose de lui faire, Ray signe en quelque sorte sa reddition, abdiquant le peu d'indépendance qu'elle conservait encore. On peut voir là une sorte de pacte avec le diable, lequel vêtu des oripeaux de la passion, instille dans le coeur de Ray ce terrible malaise qui ne la quittera plus.




Ce qui constitue le grand intérêt du roman de Fannie Hurst, est son analyse profonde de la lucidité de son héroïne, parfaitement consciente de sa situation et de ses abandons successifs, se montrant cependant totalement incapable d'imposer ses désirs et s'effaçant devant ceux de son amant. Il en va ici des ressorts de la passion amoureuse, où Ray a le sentiment que c'est là le prix à payer pour conserver sa relation avec Walter, au détriment de son équilibre constamment malmené.

Fannie Hurst - 1889 - 1968



Il serait commode de ne voir en Walter que le prototype du grand bourgeois adultère, uniquement soucieux de son bien-être et de sa respectabilité, ce qu'il est bien sûr, mais le récit nous montre que ses sentiments pour Ray sont sincères. Il trouve auprès d'elle le repos, qui n'est pas que celui du guerrier, même si on le devine, l'alchimie des corps tient une place très importante dans leur relation, mais il aime aussi à parler longuement avec elle, de thèmes sérieux qu'il ne peut aborder en famille, tout en n'hésitant pas à recueillir son avis et ses conseils dans la conduite de ses affaires.

Il le dit lui-même : "Je ne pourrais renoncer à vous Ray, vous êtes pour moi le rocher de Gibraltar, mieux que cela, la seule personne au monde avec laquelle je me montre tel que je suis. La seule minute au monde où je suis moi-même est celle où je franchis cette porte. Il me semble que si je ne viens pas parler d'une question de fond avec vous, je ne pourrai pas m'en tirer."


Ceci dit, il sait aussi faire preuve d'un égoïsme et d'un cynisme sans bornes et l'on voit, tout au long du récit, qu'il ne sacrifiera jamais rien de sa vie officielle au profit de Ray, à laquelle il a pris soin, dès le départ, de poser des limites draconiennes qui ne souffrent aucune discussion. Les petites phrases qu'il lui assène parfois au cours de leurs dialogues, lesquelles lui paraissent anodines, sont pour elle autant de coups de poing dans le ventre qui la laissent à chaque fois hébétée par tant de stupide inconscience.   Cet aspect de leur relation provoque chez Ray d'atroces souffrances, que Fannie Hurst nous livre de manière sobre mais bouleversante.



Back street - John Stahl - 1932

Le fil du récit nous décrit la vie clandestine de Ray, participant de loin à certains événements de la vie de Walter, qui n'hésite pas à l'installer dans des hôtels proches de ses lieux de villégiatures en compagnie de sa famille, l'accompagnant dans ses voyages à l'étranger, mais toujours sous le sceau du secret, circonstances qui permettront à la jeune femme de fréquenter les salles de jeux des casinos, activité qui tiendra par la suite une place prépondérante dans sa vie.




Carl Holsoe -  1863 - 1935


Cependant, un événement marquant survient, dont je tairai la nature, pour ne pas dévoiler au lecteur cet aspect important du récit, qui provoque un terrible séisme dans la vie de Ray, laquelle enfin, dans un sursaut d'orgueil, se sentant affreusement trahie, rompt brutalement avec Walter, par le biais d'une lettre et choisit de fuir ce qui aura été sa vie durant toutes ces années, retournant auprès de sa famille dans sa ville d'origine. Elle trouvera dans cet épisode un certain apaisement, sans toutefois donner un nouveau sens à sa vie, ne parvenant pas à oublier Walter malgré la déception violente qu'il lui a infligée.




Celui-ci réapparaîtra, son destin étant indéfectiblement lié à celui de sa maîtresse, et avec ce savant mélange d'orgueil masculin bafoué et de sentiments non dits, parviendra à la convaincre de lui revenir, avec il faut en convenir une certaine facilité, puisque Ray, déposant les armes, se révélera incapable de renoncer à cet amour qui la dépasse et la submerge. Les deux héros reprendront leur histoire là où ils l'avaient laissée, sans que Ray ne parvienne à rien changer à son attitude envers son amant. De nombreux passages du roman, très émouvants, ne nous épargnent pas ses terribles états d'âme, ses éclairs de lucidité, sa souffrance extrême.



Un autre épisode viendra l'ébranler, lors de sa confrontation avec le fils de Walter, venu lui intimer l'ordre de s'effacer. Sa réaction, étonnante de calme envers le jeune homme, à qui elle tente d'expliquer la nature profonde des liens qui l'unissent à son père, sera une nouvelle épreuve à subir, même si Walter, révolté par l'initiative de son fils et son incursion dans sa vie privée, le sermonnera fermement, manifestant ainsi son respect envers une femme qui aura tenté de sauvegarder sa dignité. 


La dernière partie du roman évoque la descente aux enfers de Ray, après la disparition brutale de Walter, qui la laissera moralement dévastée et dans un dénuement social et financier absolu.



Les cercles littéraires et féministes ont naturellement beaucoup commenté ce roman et la personnalité de Ray Schmidt, symbole de la soumission féminine à la passion amoureuse dans son caractère clandestin, tant et si bien que le terme de "back street" est passé à la postérité et dans le langage courant pour définir ce phénomène.



Carl Holsoe - 1863 - 1935 - Danemark





Ray Schmidt est à mon sens, avec Anna Karenine, l'un des personnages les plus tragiques de la littérature romanesque et l'on peut considérer que sa plus grande erreur aura été d'être dans l'incapacité de sauvegarder son estime d'elle-même et croire aveuglément que cet amour là, pour cet homme là, était le seul possible. Elle ne pouvait envisager qu'il y a toujours quelque part un autre amour et un autre avenir, dont il faut s'employer à trouver le chemin. La vie est parfois pleine de surprises, et c'est bien souvent lorsque l'on n'attend plus rien d'elle, qu'elle se montre fantasque et prodigue ses bienfaits. Mais pour son malheur, Ray ne le savait pas ou ne voulait peut-être pas le savoir.

Fannie Hurst, romancière américaine, a publié plusieurs romans durant sa carrière littéraire aux Etats-Unis, qui ont à l'époque rencontré un grand succès, mais "Back Street", paru en 1931, demeure son livre le plus célèbre, le plus lu et le plus commenté à ce jour, ce qui n'est que justice pour ce roman magistral. Hélas, on peut déplorer que cette oeuvre ne soit pas rééditée en France depuis de nombreuses années.





Fannie Hurst

"Back Street" est un roman que j'ai lu alors que j'étais encore une très jeune femme. Pour la petite histoire, il m'avait été prêté par une amie plus âgée que moi, avec laquelle j'échangeais souvent sur la littérature. Ayant achevé sa lecture, je le lui avais rendu et elle m'avait dit, je m'en souviens encore : "Toutes les jeunes femmes devraient avoir ce livre sur leur table de chevet".


Enfin, c'est au hasard d'une promenade, il y a quelques années, sur un marché aux bouquinistes, que j'ai retrouvé ce livre ; y voyant là un signe du destin, je l'ai immédiatement acquis dans son édition parue en France en 1933. Sa relecture m'a à nouveau bouleversée et les propos lucides de celle qui me l'avait fait découvrir, me sont revenus en mémoire, tant il est vrai à quel point il importe de ne jamais, ô grand jamais, devenir une "Back Street".



Fannie Hurst et Eleanor Roosevelt







Christine Filiod-Bres

Vert Céladon
12 janvier 2015


Notes


Le roman de Fannie Hurst n'est pas réédité depuis très longtemps, mais il est encore possible de le trouver sur le net ou au hasard  des bouquinistes. Il est à noter que sur ces éditions, le prénom de la romancière est orthographié avec un Y alors que l'orthographe exacte comporte un I.




Plusieurs adaptations cinématographiques :

1932 - John Stahl

avec Irene Dunne et John Bowles

1941 - Robert Stevenson

avec Margareth Sullavan et Charles Boyer

1961 - David Miller

Avec Susan Hayward et John Gavin





samedi 2 janvier 2016

Message in a bottle ... VERT CELADON - Bilan 2015 et Projet




Photo C. FB - juin 2014 - La Saône à Lyon - Quartier Saint Georges 



MESSAGE IN A BOTTLE

VERT CELADON - Bilan 2015 et Projet




Lorsque je pense à VERT CELADON et que je l'évoque auprès de mes amis, je dis souvent que je le vois comme une bouteille à la mer, métaphore qui m'est inspirée par ses lecteurs de par le monde, dont je ne sais rien, si ce n'est qu'ils me font l'amitié, j'oserai même dire l'honneur de me lire.


Quelques statistiques révélées par le dispositif Blogger, son site hébergeur, indiquent 17 984 vues à ce jour, depuis sa création en juin 2013, ce qui fait environ 580 vues mensuelles. Bien sûr il est majoritairement lu en France mais aussi dans de nombreux pays, dont les Etats-Unis, qui arrivent en tête (2305 pages vues), puis la Russie (993), chiffres qui ne cessent de m'étonner, notamment pour les U.S.A, la Russie étant par tradition un pays francophile.


Viennent ensuite l'Allemagne (378), la Belgique (373), l'Ukraine (253), la Suisse (151), la Roumanie (113), la Pologne (92), le Canada (63). Quelques lecteurs, mais à des degrés bien moindres, dans les DOM-TOM, aux Pays-Bas et en Espagne, aux Philippines, en Inde, au Japon, au Vietnam et en Tunisie.


Il est clair, et j'en ai parfaitement conscience, que comparativement à bien des blogs, ces chiffres peuvent paraître insignifiants, mais je rappelle que VERT CELADON traite essentiellement de thèmes à caractère culturel, sujets qui par les temps qui courent ne sont pas, et c'est bien dommage, les plus prisés par nos contemporains ; enfin je dirais qu' il n'a que deux années et demi d'existence et que jamais je n'aurais imaginé, lorsque je l'ai créé, qu'il aurait cette audience. Il en va de la magie d'Internet, ce media souvent critiqué, et parfois à juste raison, mais qui pour ma part m'a permis de donner naissance à ce bébé qui grandit, requiert toute mon attention et une bonne partie de mon temps.   


Cependant cette année 2015, je dois en convenir, aura été moins prolifique que les précédentes, pour des raisons personnelles sur lesquelles je ne m'étendrai pas mais qui ont freiné l'inspiration, la concentration et le temps nécessaires à ce type d'entreprise. Vingt cinq publications seulement, plus particulièrement axées sur la poésie notamment "Elle était si gentille" (79) qui a rencontré un certain lectorat, un petit poème en prose "Le Hasard" (76), "Femmes de Ciudad Juarez", (145), poème assez sombre et dur auquel je tiens beaucoup, et "Pure" poème très personnel (51).


Plusieurs chroniques ont retenu l'attention dont "Eugénie Brazier ... Fille et Mère", championne toutes catégories cette année (186), l'histoire de cette "Mère lyonnaise" illustre, ayant intéressé les lecteurs, enfin ma chronique relative au grand roman de Kazuo Ishiguro "Les Vestiges du jour", livre ô combien important dans mon panthéon littéraire, a rencontré un certain lectorat (133). Pour le reste j'invite chacun à parcourir le blog et à picorer ici et là et faire son miel selon son inspiration.

Enfin, des chroniques parues antérieurement comme "Sonia Gandhi où le mariage des extrêmes" , qui remporte tous les suffrages depuis sa parution, celle concernant "Rita et Witold Gombrowicz", puis "Parlez moi d'amour" sur la vie et l'oeuvre de la grande romancière anglaise Jean Rhys, et enfin celle relative au grand architecte japonais Tadao Ando "Tadao Ando ou l'esprit des lieux", continuent à trouver des lecteurs chaque jour de par le monde, ce qui est une grande source d'encouragement, car ce sont là des textes qui m'ont demandé beaucoup de travail de recherches, de rédaction et de mise en page.


Autre aspect important et non négligeable, qui augmente l'audience du blog, est la création du compte Twitter de Vert Céladon, qui me permet de rencontrer directement des lecteurs intéressés par les thèmes que je traite et qui partagent mes centres d'intérêt.


Par ailleurs, je voudrais revenir sur un projet qui me tient à coeur, relatif au changement de site hébergeur, afin de donner au blog une configuration un peu moins classique et plus dynamique dans sa mise en page. Il s'agit là d'une opération d'envergure et délicate, à laquelle je réfléchis depuis un certain temps et qui nécessite l'aide technique d'un spécialiste, lequel a déjà opéré quelques modifications l'année dernière. A suivre donc ...

Je voudrais également évoquer quelques découvertes littéraires importantes durant cette année 2015, en citant le grand américain James SALTER, récemment disparu, Louise ERDRICH, une américaine encore, très intéressante romancière d'origine amérindienne, et plus récemment, le Hongrois Sandor MARAI, dont l'oeuvre se rapproche de celle des grands Viennois et qui se révèle passionnante. Pour la littérature française, je citerai la jeune Sophie DIVRY, originale et plus profonde qu'il n'y parait, dont l'un de ses ouvrages "La condition pavillonnaire", a fait l'objet d'une de mes chroniques en 2014.

Pour finir, je veux redire mon admiration pour ce géant des lettres sud-américaines qu'est Roberto BOLANO, écrivain chilien, exilé et mort en Espagne il y a quelques années, dont le monumental "2666", roman monstre, à la construction extraordinaire, m'a inspiré le poème "Femmes de Ciudad Juarez", à défaut d'une chronique, que je considère comme quasiment impossible, me poursuit et chemine en moi, tout en approfondissant le reste de son oeuvre remarquable, de même que sa poésie.  

J'espère vivement dans l'avenir, pouvoir conserver l'énergie qui m'anime, bien qu'elle m'ait un peu fait défaut lors de cette année 2015, afin de continuer à porter VERT CELADON dont je ne remercierai jamais assez ses lecteurs, de leur attention et de leur fidélité.






Christine FILIOD-BRES
Le 2 janvier 2016


   

vendredi 1 janvier 2016







Photo C. FB








VERT CELADON souhaite
 une très belle année 2016 à tous ses lecteurs.




Happy new year 2016 for all the readers of VERT CELADON