vendredi 31 octobre 2014

Les Malheurs de Sophie - L'enterrement de la poupée
















L'enterrement


(Extraits)





"Camille et Madeleine arrivèrent un matin pour l'enterrement de la poupée : elles étaient enchantées ; Sophie et Paul n'étaient pas moins heureux.


On plaça la boîte sur un brancard que la maman leur avait fait faire. Elles voulaient toutes le porter : c'était pourtant impossible, puisqu'il n'y avait place que pour deux. Après qu'ils se furent un peu poussés, disputés, on décida que Sophie et Paul, les deux plus petits, porteraient le brancard, et que Camille et Madeleine  marcheraient l'une derrière, l'autre devant, portant un panier de fleurs et de feuilles qu'on devait jeter sur la tombe.



Comtesse de Ségur née Rostopchine


Les enfants se mirent à creuser la fosse, ils y descendirent la boîte, jetèrent dessus des fleurs et des feuilles, puis la terre qu'ils avaient retirée ; ils ratissèrent promptement tout autour et y plantèrent des lilas. Pour terminer la fête, ils coururent au bassin du potager et y remplirent leurs petits arrosoirs pour arroser les lilas ; ce fut l'occasion de nouveaux jeux et de nouveaux rires, parce qu'on s'arrosait les jambes, qu'on se poursuivait et se sauvait en riant et en criant.


On n'avait jamais vu un enterrement plus gai. Il est vrai que la morte était une vieille poupée, sans couleur, sans cheveux, sans jambes et sans tête, et que personne ne l'aimait ni ne la regrettait. La journée se termina gaiement : et lorsque Camille et Madeleine s'en allèrent, elles demandèrent à Paul et à Sophie de casser une autre poupée pour pouvoir recommencer un enterrement aussi amusant."



Photo Lady Clementina Hawarden


Comtesse de Ségur
Les Malheurs de Sophie
31 octobre 2014


La poupée de Sophie








La poupée de Sophie










"La poupée vécut très longtemps bien soignée, bien aimée ; mais petit à petit elle perdit ses charmes, voici comment.


Un jour, Sophie pensa qu'il était bon de laver les poupées, puisqu'on lavait les enfants ; elle prit de l'eau, une éponge du savon et se mit à débarbouiller sa poupée ; elle la débarbouilla si bien qu'elle lui enleva toutes ses couleurs : les joues et les lèvres devinrent pâles comme si elle était malade, et restèrent toujours sans couleur.

 Sophie pleura, mais la poupée resta pâle.

Une autre fois, Sophie songea qu'un bain de pieds serait très utile à sa poupée, puisque les grandes personnes en prenaient. Elle versa de l'eau bouillante dans un petit seau, y plongea les pieds de la poupée et, quand elle la retira, les pieds s'étaient fondus, et étaient dans le seau.


Sophie pleura, mais la poupée resta sans jambes.



Depuis tous ces malheurs, Sophie n'aimait plus sa poupée qui était devenue affreuse, et dont ses amies se moquaient ; enfin, un dernier jour, Sophie voulut lui apprendre à grimper aux arbres ; elle la fit monter sur une branche, la fit asseoir ; mais la poupée, qui ne tenait pas bien, tomba : sa tête frappa contre des pierres et se cassa en cent morceaux.


Sophie ne pleura pas, mais elle invita ses amies à venir enterrer sa poupée."



Comtesse de Ségur
Les malheurs de Sophie
31 octobre 2014  

mardi 28 octobre 2014

Petite forme courte à propos des Malheurs de Sophie.






Chez la Comtesse de Ségur, les Papas sont toujours à Paris ...



Photo Clementina Hawarden






"Ma Bonne, ma Bonne, dit un jour Sophie en accourant dans sa chambre, venez vite ouvrir une caisse que Papa m'a envoyée de Paris, je crois que c'est une poupée de cire, car il m'en a promis une."




Comtesse de Ségur
Les malheurs de Sophie


28 octobre 2014 

jeudi 23 octobre 2014

Exercice d'admiration









Exercice d'admiration





Photo Clementina Hawarden






Depuis tant d'années, Madame V... est rompue à l'exercice d'admiration, mais ça ne la satisfait guère, elle y a perdu son âme et ne retrouve plus les chemins de la liberté. Sa souffrance est extrême, mais elle lui impose le silence car elle n'a pas d'alternative.





Christine Filiod-Bres
23 octobre 2014










lundi 13 octobre 2014

Elle ne sait plus qui je suis







Elle ne sait plus qui je suis








Elle ne sait plus qui je suis
Ne me parle plus, ne me voit plus
Elle est hors du monde


Elle est comme une inconnue
Si proche et si lointaine
Entre nous le silence



Elle ne me dira plus
Qu'elle aimait Natacha
 Thérèse, sa sainte souriante



Lioudmila Savelieva - Guerre et Paix - Sergeï Bondartchouk



Elle ne sera plus jamais
Cette fille en robe blanche
Qui a tant renoncé, sacrifié au devoir


Elle est en fin de vie, prostrée
Dans cette chambre un peu triste
C'est fini, elle  ne sait plus qui je suis





Thérèse de Lisieux



Christine Filiod-Bres

13 octobre 2014

mercredi 8 octobre 2014

La condition pavillonnaire - Sophie DIVRY









Janet Hill




La Condition Pavillonnaire

Sophie DIVRY




La Condition Pavillonnaire, c'est un peu "Desperate Housewives" en Savoie et dans le Nord Isère, durant les Trente glorieuses jusqu'à nos jours.


L'héroïne de Sophie DIVRY, prénommée M.A., clin d'oeil appuyé au plus célèbre archétype féminin de la littérature française, travaille dans une entreprise et élève ses enfants, dans une de ces zones pavillonnaires à la lisière de nos grandes villes, sorte de cités se voulant radieuses, pensées par des urbanistes et des politiques, à destination de la classe moyenne.


Où l'on voit cependant, que l'insatisfaction féminine a encore de beaux jours devant elle en littérature, à travers le récit de la vie d'une femme, confrontée au vide existentiel et qui, pétrie des idéaux de sa jeunesse, n'aurait pas imaginé que ça allait se passer comme ça ...


Un récit juste, ironique et sans concessions, qui nous rappelle, s'il en était besoin, que comme le disait Witold Gombrowicz, dont ce fut le credo, la jeunesse est le bien le plus précieux, mais qu'hélas, il est parfois trop tard, lorsque l'on prend conscience que l'on s'est peut-être fourvoyé.


Christine Filiod-Bres
8 octobre 2014










Sophie DIVRY










lundi 6 octobre 2014

LEVIATHAN - Andreï Zviaguintsev









LEVIATHAN

Un film de Andreï Zviaguintsev




Tous ceux qui ne craignent pas d'empoigner la réalité, qui considèrent que le cinéma n'est pas qu'un divertissement, et qui s'interrogent sur l'état du monde, seront touchés, voire bouleversés par "Léviathan", le dernier film du jeune réalisateur russe, Andreï Zviaguintsev.


On retrouve ici l'atmosphère si particulière, et l'envergure considérable, déjà entrevues dans le magnifique "Le retour", puis dans "Elena", qui fait une grande part de la richesse de l'oeuvre de ce cinéaste, qui démontre à bien des réalisateurs français, que filmer c'est tout de même autre chose que ce qu'ils nous proposent en règle générale, sclérosés qu'ils sont parfois par la pauvreté de leur écriture cinématographique, et leur parti-pris bourgeois.



Dans ce film, dont on ne sort pas indemne, et qui nous poursuit longtemps, Zviaguintsev nous donne à voir le fonctionnement de la société russe, par le biais du combat infernal que livre son héros, Kolia, aux prises avec les forces du mal et de la corruption qui innervent les institutions et le pouvoir politique, lesquelles le poussent au désespoir et à quitter sa maison, sur les bords de la Mer de Barents, où il vit avec sa seconde épouse, et son fils, adolescent rebelle, en lutte ouverte contre sa belle-mère.


Alexeï Serebriakov dans le rôle de Kolia


Les premières images nous montrent Kolia, venu accueillir à la gare, son ami avocat arrivant de Moscou, chargé d'assurer sa défense dans le procès qui l'oppose au Maire de la commune, lequel cherche à tout prix à s'emparer de sa maison et surtout de son terrain, pour satisfaire un projet, dont on se doute qu'il tirera de considérables bénéfices.


A ce titre, la scène du réquisitoire du jury, exclusivement féminin, est magistrale, et nous laisse au bord de l'asphyxie, tant le débit précipité de la juge qui énonce les attendus sur un ton monocorde, crée un profond malaise, symbolise la tragédie à l'oeuvre, et personnifie l'engrenage par lequel Kolia  sera broyé.


Cependant, qu'on ne s'y trompe pas, si Zviaguintsev nous parle de la Russie, de son fonctionnement social, politique et religieux, par le biais d'un évêque orthodoxe sentencieux, il nous parle aussi de l'état de notre monde, et des abîmes dans lequel il est plongé, gangrené par la corruption et l'avidité.



Un autre grand mérite de ce film, qui comme toutes les grandes oeuvres, part du singulier pour toucher à l'universel, s'illustre pleinement dans le très beau et pathétique personnage de Lilya, la compagne de Kolia, laquelle, partagée entre l'estime et le respect qu'elle éprouve pour lui, mais usée par sa lutte et le conflit qui l'oppose à son beau-fils, trouve un semblant d'échappatoire dans un adultère qui pourrait enfin la réveiller du grand sommeil où elle était plongée, et élargir son horizon, mais que sa loyauté précipitera dans le désespoir.


Elena Lyadova dans le rôle de Lilya


Dans ce monde sans pitié, la morale est totalement absente. Chez Zviaguintsev, l'honnêteté ne sauve personne, bien au contraire, et Kolia  en a déjà pris conscience, lorsque dans une scène poignante, il interpelle un pope, en lui demandant où est son Dieu de miséricorde, et se voit répondre, à travers la parabole de Job, qu'il doit se soumettre à sa volonté, qu'on ne saurait se révolter contre lui, et que la fuite du temps aplanit les épreuves. A cet instant là, les dés sont  jetés et Kolia a perdu tout espoir, ce qui achèvera de le détruire.



Cette description terrible d'une certaine condition humaine, n'est cependant pas exempte d'humour, bien aidé par la faramineuse consommation de  vodka, qui on le voit bien, fait office de pansement sur tous les maux des Russes, et s'illustre au cours d'une scène extraordinaire et drôlatique, où les protagonistes, réunis au cours d'un barbecue, s'exercent au tir sur des cibles représentées par les portraits des récents dirigeants de la défunte Union soviétique, où Boris Eltsine ne figure pas "parce qu'il n'était pas à la hauteur" ... de même que les actuels dirigeants au pouvoir, "parce qu'on n'a pas encore le recul historique" ...


On ne saurait avoir tout dit de ce film, si on n'évoque pas le sentiment de plénitude éprouvé à travers les images magnifiques et insolites, de cette région de la Mer de Barents, à la fois fascinante et inquiétante, de ces villages tristes et désolés, le tout magnifié par la musique de Philip Glass.


Enfin, comme ordinairement dans tous les films de Zviaguintsev, les acteurs y sont formidables, tous d'une justesse absolue. Alexeï Serebriakov, est remarquable dans le rôle de Kolia et force l'admiration, de même que la belle Elena Lyadova, dans celui de  Lilya. Mention spéciale à Roman Madyanov, passionnant dans le rôle du Maire, personnage à la fois veule et vindicatif, impitoyable et cynique avec les faibles, et obséquieux avec les puissants, tout droit sorti d'un roman de Gogol.


Un film d'une grande beauté formelle et d'une force extraordinaire, qui est un nouveau jalon dans dans la filmographie prodigieuse d'Andreï Zviaguintsev.


Andreï Zviaguintsev







Christine Filiod-Bres
6 octobre 2014