lundi 9 juin 2014

Père et fille - Siri Hustvedt








Siri Hustvedt



Siri Hustvedt


Plus je pris de l'âge, plus mon père me parut secret, et il y eu des moments où il semblait inaccessible au point de me stupéfier. Il pouvait avoir du mal à dire, alors parfois il agissait.


Il m'a un jour ramenée à la maison après la pose d'un appareil dentaire, des heures douloureuses et éreintantes qu'avaient rendues pire encore le fait que l'orthodontiste était un personnage réellement déplaisant   qui m'enjoignait rudement de cesser de remuer les pieds quand je me tortillais d'inconfort, d'ouvrir plus grande la bouche et d'arrêter de tressaillir quand il touchait un point sensible.


J'étais sortie de cette épreuve les larmes aux yeux. Mon père ne dit pas grand chose mais, bientôt, il s'arrêta à une station-service, descendit de voiture et revint avec une boîte, qu'il me tendit. Je regardai. Des cerises au chocolat. La friandise préférée de mon père. J'avais onze ans et, néanmoins, je fus sensible au mélange de tragédie et comédie.


Je n'aimais pas les cerises au chocolat et, même si je les avais aimées, je n'étais pas en mesure d'en manger, mais ce geste muet m'habite encore comme un geste d'une gentillesse infinie, quoique un rien mal inspiré, comme un témoignage de son amour.



Siri Hustvedt
Vivre, Penser, Regarder






Christine Filiod-Bres
9/06/2014